Master thesis

Une postcolonialité à démystifier? : Analyse discursive de l’ethnocentrisme dans le chapitre 10 du manuel d’histoire de 10e année : « Regards sur la colonisation : l’exemple de l’Afrique »

    2022

123 p.

Mémoire de master: Haute École Pédagogique BEJUNE, 2022

French « Identifier et analyser le système de relations qui unit chaque individu et chaque groupe social au monde et aux autres » 2 . Telle est la visée prioritaire du PER (Plan d’études romand) concernant l’enseignement de l’histoire au cycle 3. Cette approche historienne, marquée par une volition d’ouverture à l’altérité, se retrouve-t-elle également dans les nouveaux manuels des MER (Moyens d’enseignement romands) exploités dans les classes romandes depuis la rentrée 2021 ? Qu’en est-il plus spécifiquement de l’enseignement d’un thème aussi épineux que le fait colonial, dont la rémanence résonne avec récurrence dans notre quotidien ? Pour le savoir nous nous sommes intéressés au chapitre 10 du manuel (10e HarmoS) intitulé « La colonisation, regards sur l’Afrique ». Les objectifs d’apprentissage de ce MER émettent – à l’instar de ceux du PER – un souci d’ouverture à l’altérité. Mais qu’en est-il de la mise en application concrète de ces objectifs dans le contenu manuel, et plus particulièrement, dans les discours ? Autrement dit, cette intention didactique concourant à la multiplicité des points de vue et à la décentration se confirme-t-elle ? Ou observe-t-on, au contraire la présence de biais ethnocentriques dans les discours du manuel ? En 2019, un mémoire de la HEP-Vaud (Sabaghi et Widemann) a déjà soulevé la problématique de l’eurocentrisme dans l’enseignement du fait colonial dispensé par les MER. Or, ce dernier travail n’étudie pas les discours du manuel, mais passe en revue les objectifs d’apprentissage et les ressources complémentaires qui étaient à disposition, en ligne, avant la première édition du manuel dans sa version définitive.
Dans ce travail, nous nous intéressons à la mise en application des objectifs d’apprentissage – prônant l’ouverture, la décentration et la prise en compte de l’altérité – dans les discours du manuel. Pour cela, nous nous interrogeons sur la présence de biais ethnocentriques dans ces discours. Pour répondre à cette question de recherche, nous avons émis deux hypothèses qui réinvestissent la dichotomie intrinsèque à l’histoire du fait colonial. D’une part, nous étudions l’image discursive de l’endogroupe qui englobe les ressortissants des pays européens qui, ayant possédé ou non des colonies, ont entretenu et nourri un esprit colonial. D’autre part, nous nous penchons sur l’image discursive de l’exogroupe qui concerne, par opposition au premier groupe, les populations colonisées. La première hypothèse de ce travail postule que les discours du manuel construisent une image discursive positive de la puissance coloniale (indicateurs : les euphémismes), tandis que la seconde émet l’idée que les discours reproduisent une image stéréotypée (indicateurs : les stéréotypes) de l’altérité.
Au terme de l’analyse, les deux hypothèses ont été confirmées. Pour étudier si les discours du manuel construisent effectivement une image positive de la puissance coloniale (H1), deux sousquestions de recherche ont été émises, puis confirmées. Premièrement, nous avons constaté dans le corpus que la dimension coercitive de la colonisation est évacuée par le recours à des euphémismes (euphémismes lexicaux, euphémismes par abstraction et euphémismes par omission). Deuxièmement, nous avons observé une valorisation de la puissance coloniale par le biais des procédés linguistiques de détournement et de décharge du colon (utilisation du passif et détournement du sujet, métonymies, métaphores, forme impersonnelle « on », omissions discursives). L’analyse a également confirmé que les discours du manuel réitèrent une image stéréotypée de l’autre et de l’ailleurs par des procédés d’exotisation (H2). En effet, les deux sous-questions de recherche investiguées pour cette seconde hypothèse se sont révélées positives. L’analyse des déictiques spatiaux et des points de vue confirme une focalisation eurocentrée dans le corpus. De plus, on observe également la représentation d’une altérité exotisée (par l’analyse des stéréotypes de généralisation d’une mise en scène, de simplification d’un rapport de force et d’homogénéisation de l’Afrique et de l’Africain).
D’un point de vue quantitatif, l’analyse a démontré que sur les 102 phrases du corpus, 53 comportent au moins un biais ethnocentrique (52 %). A la lumière de ces résultats, il nous semble important que les enseignants d’histoire exploitent avec précaution ces énoncés discursifs en classe. Nous suggérons que ces discours soient considérés comme des sources plutôt que des ressources. En les utilisant comme matériel de départ d’une enquête historique, ils devraient permettre aux élèves d’affûter leur esprit critique par la déconstruction des biais ethnocentriques. De plus, cette démarche permet ensuite l’introduction du concept de postcolonialité. Dans le cadre d’une recherche plus approfondie, le corpus pourrait être étoffé par l’intégration des contenus des MER (documents du manuel et fichier de l’élève), en plus des discours. En outre, la problématique pourrait être élargie à l’ensemble des chapitres traitant du fait colonial (les Grandes découvertes et la décolonisation).

2 Brochure de présentation des moyens d’enseignement romands – Sciences humaines et sociales – Cycle 3
Filière
Enseignement secondaire
Titre obtenu
Master of Arts or Science in Secondary Education
Language
  • French
Classification
Education, teaching
License
CC BY-NC-SA
Persistent URL
https://roar.hep-bejune.ch/hepbejune/documents/324538
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